Quantcast
Channel: Johnny Rotten – Les Dessous chics
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

  Un libertin amoureux, un nihiliste vivifiant

$
0
0

Roland Jaccard.

  Roland Jaccard nous donne à lire un roman délicieusement amoral, jouissif et plein de vie.

Ce roman (s’agit-il réellement d’un roman ou d’un récit?) est bien plus ambitieux et littéraire qu’il n’en a l’air. Sa construction d’abord: élaborée, précise, bien pensée. Un écrivain décède brutalement. Accident de voiture. Suicide, certainement. Son frère, un Suisse rangé, bourgeois, raisonnable, raisonné, quitte son sécurisant pays pour se rendre à Paris. Dans l’appartement du défunt, il trouve un long texte: «Un manuscrit déposé sur son bureau m’intrigua. Il portait pour titre: Station terminale. Sur la couverture, il avait écrit: «Impossible à publier pour des raisons juridiques. Aucune envie de le modifier.» Je m’attendais à tout, sauf à ce genre de surprise. Je l’ouvris.»

On se régale

Le frangin vivant se met à lire, stylo à la main. Il surligne, annote, commente les passages qui le heurtent, contre lesquels il vitupère; il hurle. Ce roman n’est rien d’autre que l’habile assemblage du texte de l’écrivain suicidé et des commentaires du frère courroucé. Roland Jaccard vient de réaliser là ce qu’il convient d’appeler une géniale et singulière construction. On est en droit de l’en féliciter. Car on se régale. Jaccard possède un ton, une patte, un style. Et la matière est un régal: le mort était un libertin, ce que les bien-pensants qualifieraient de débauché. C’est souvent drôle, impertinent, jouissif, désespéré, nihiliste. Comme si Henry Miller avait bringué avec Cioran. Page 48: «Nous ne sommes attirés que par l’inaccessible. Dieu l’est. C’est son principal atout. Il nous a donné son Fils comme on jette des asticots aux poissons pour mieux les ferrer. Stratégie habile dont nous ne sommes pas dupes, puisque nous agissons de même.»

L’homme de plume défunt ne s’est pas privé. De très jeunes et délicieuses filles et lolitas parcourent le texte; elles se prénomment Nao ou Prune. Elles se donnent avec une féminité rare; leur féminisme, tant appréciable qu’il soit, reste tout en retenue. Un vrai régal. «Les filles passent, le matelas reste; tout est bien.» Pourtant, l’une d’entre elles, la charmante petite Marie parviendra à le retenir. Le nihiliste est en train de tomber amoureux. L’apologue de l’infidélité serait-il en train de devenir fidèle? On dirait du Beigbeder ou du Houellebecq, c’est-à-dire que ça balance sec! Roland Jaccard est une manière de punk des lettres. Un Johnny Rotten élégant comme Larbaud et aussi bien élevé que Paul Morand. Mais le fond ditmerde à la Reine-Establisment. C’est aussi pour ça qu’on l’aime. Il est fictrement séduisant d’un point de vue littéraire; il est bidonnant; il est subversif. On ne demande rien d’autre à la bonne littérature. Merci Roland Jaccard.PHILIPPE LACOCHE

Station terminale, Roland Jaccard, Serge Safran éditeur; 152 p.; 15,90 €.

 

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Latest Images

Trending Articles





Latest Images